14 janvier 2007

La supercherie

Je suis une mauvaise mère. Oui, absolument. J’aimerais me trouver des excuses, blâmer ma propre mère, l’iode dans l’eau de mon quartier ou même le système d’enseignement public québécois des années 70, mais il semblerait que ce soit entièrement de ma faute. Je m’explique.

Je venais d’accoucher de mon deuxième fils et ma belle-soeur hyper-organisée, celle qui a entièrement planifié sa grossesse dans Microsoft Project ( Sous-projet, « Conception », Chargé de sous-projet : couple, livrables : sperme, ovule, fertilisation, tâches : 1.1 création de l’environnement propice : télévision fermée (ou sur le mute), bières dans le frigo, collier de perles et bottes de cochonne, 1.2 Préliminaires amoureux : Visionnement de Bleu Nuit, fellation, cunnilingus 1.3 Pénétration : position optimale pour conception d’une femelle (*ingestion de noix et de jus de citron au préalable selon études de la clinique Mayo) 1.4 Éjaculation etc…) m’invite à une clinique d’allaitement au CLSC. Je suis emballée : enfin la chance d’enfiler à nouveau mes jeans de maternité (qui ne me faisaient plus), de rencontrer d’autres mamans, et d’échanger sur nos expériences de féminité comblée! En plus ça ne coûte rien!

Sauf que, seul hic, je n’allaite pas vraiment le petit Simon. Enfin, pas à temps plein. Enfin, le moins possible. Servir de cafétéria 24/7 ne m’allume pas, et Simon, quant à lui, semble préférer le biberon, et de loin. Je l’ai bien mis au sein quelques fois, mais dernièrement il a le don de me regarder avec indignation comme pour m’ordonner d’arrêter de me raconter des histoires et de lui passer la bouteille, bordel. M’enfin. C’est fou comme c’est expressif des nouveaux-nés quand on se sent coupable.

Donc, j’arrive au CLSC un peu inquiète : je ne sais pas à quoi m’attendre, j’ai peur qu’ils ne s’aperçoivent que j’ai gavé bébé au Similac avant de partir, et je viens de me rendre compte qu’il a dégobillé partout sur son pyjama neuf. Normalement, ce genre de chose ne me dérange pas (j’ai porté des traces de mes repas sur la bédaine durant toutes mes grossesses), mais on a pas la chance de faire une deuxième première impression, et j’ai vraiment besoin de me faire des amies.

À première vue, je n’ai pourtant rien à craindre : la clinique d’allaitement est un havre de douceur et de chaleur humaine, avec des dizaines de bambins accrochés au sein de leur maman ou se promenant gentiment en couche. Ce n’est toutefois pas vraiment un havre de paix, car un des tout-petits est manifestement enragé et tente de mordre sa pauvre mère presque en pleurs elle-même. Toutes les autres mères, moi incluse, font semblant de ne rien remarquer, secrètement convaincues que nos propres enfants ne se comporteraient jamais de la sorte avec nous.

Je trouve un coin et étale ma couverture sur les coussins par terre. Je sors des petits jouets pour Simon, et pour une minute ou deux, je suis le portrait même de la maman modèle. Puis, la mère d’un petit rouquin à côté de moi me sourit avec gêne :

« Vous voyez le hochet là que votre bébé a dans la bouche? »

« Oui. Il est joli non? C’est un cadeau de ma mère. »

« Ben, c’est parce qu’il y avait un reportage sur Télé-Québec avant-hier, et ils ont dû les retirer du marché parce qu’un bébé aux États-Unis a réussi à le briser avec ses dents et à avaler une des boules à l’intérieur. Il en est presque mort. »

Paniquée, je retire un peu trop vite le jouet visqueux des mains et mâchoires de Simon. Tout d’un coup, bébé éclate en sanglots et toute la clinique se tourne vers nous. L’infirmière responsable (une chataîne genre mère Nature avec un chandail fait de laine de mouton équitable) vient vers nous et me suggère de le mettre au sein pour le calmer. Maudit, je suis faite.

Tant bien que mal, je détache mon soutien-gorge noir affriolant en dentelle (définitivement pas conçu pour l’allaitement) et tente de pousser mon mamelon dans la bouche de Simon. Monsieur n’est vraiment pas impressionné et s’étouffe avec la chair blanche. Il me repousse de ses petits poings et hurle son déplaisir. L’infirmière, inquiète, me demande si ce genre de situation arrive souvent, s’il boit bien d’habitude, si c’est du vomi sur le pyjama. Elle m’explique que les bébés allaités au sein régurgitent rarement, et que ça pourrait être un signe qu’il est malade.

Honteuse, je n’ai qu’une pensée : sortir de là. Je m’enfouis les totons dans la dentelle noire, attache le soutien-gorge tout croche et empile tous les effets de Simon pêle-mêle dans le sac à couche. Je ramasse le bébé d’un bras, le sac de l’autre et cours pratiquement vers la porte, où je rencontre ma belle-soeur avec son chérubin dans un sac en bandoullière.

« Où vas-tu? On vient d’arriver! »

« Merci, mais j’ai oublié de me laver les cheveux chez nous. On se rappelle. »

Pour les amies, je vais essayer les réunions de Weight Watchers. Au moins, j'aurai pas besoin de faire semblant que je suis grosse.

1 commentaire:

Unknown a dit...

hahahaha
Je viens de découvrir ce blogue grâce au Showbiz show. J'en ai les larmes aux yeux c'est mourrant. Félicitations! J'ai hâte d'en lire d'avantage tout en sachant que si je lis trop vite il n'y aura plus vite rien à lire...